samedi 4 juin 2011

Eros Necropsique - "Charnelle transcendance" (1997)


(Par Vlad Tepes)


Parution : Format : Label : Univers : Pays :
Mai 1997 LP Adipocere Records Rituels intimes... France


Eros Necropsique – Charnelle transcendance (1997)
Track-list :

1) Introduction
2) L’appel de Dionysos   YouTube
3) Le mélodieux écoulement du temps
4) Réminiscence
5) Avortement suicidaire
6) Pardon
7) A l’ami décédé
8) Communion
9) Délirium de l’être seul

Line-up :

Olivier Déhenne : Chant / Claviers.
Cof : Basse.
Membres additionnels :

La Déesse de la Misère : Chant soprano.
Sébastien Roland : Percussions. (1)


L’Eros Necropsique est une entité réalisant la fusion entre érotisme et mort, la nécropsie demeurant l’art de disséquer les cadavres (2). Scandée dans la langue de Molière, elle nous frappe de son éloquence et de sa viscérale torture.

Laissez-moi vous introduire à sa première éjaculation mortifère : la Charnelle transcendance


I. Noir atypisme…

Les antiques ignorants se souviennent encore de cette éprouvante couverture ornant les underground pages d’un célèbre magazine métallique français. Mais se souviennent-ils de son contenu musical… encore plus choquant et cru ? Probablement pas.

Je ne m’adresse donc pas à ces individus en écrivant ces quelques mots, constituant un hommage à cette première œuvre dont la personnalité peut être qualifiée d’atypique et de non-comparable. Car il n’existe aucune autre entité pouvant servir d’illustration plus ou moins lointaine à l’Eros, développant un monde dont lui seul a la connaissance. La Charnelle transcendance est ainsi l’occasion inespérée de s’y plonger, mais non sans risque : cette errance marque à jamais celui ou celle qui ose la vivre, ce qui est le cas de si peu d’œuvres musicales.


Le dément label de l’entité qualifie son genre comme « érotico-dépressif », par un descriptif relativement saisissant : « Malsain, symphonique et envoûtant, ce 1er album est une vision authentiquement lucide qui offre ses objets déshabillés du vernis de l’artifice. Cette perle noire est le fruit d’une éjaculation douloureuse » (3). Cette notion d’"éjaculation douloureuse" apparaît indispensable à notre compréhension (si je puis dire, en donnant l’illusion que la rationalité permettra de mieux la circonscrire, ce qui n’en est rien !). En effet, érotisme et mort se trouvent intrinsèquement liés en cet opus, ne faisant plus qu’un. Car il s’avère vain de tenter une dissociation, tellement l’un vient tantôt faire naitre, tantôt faire mourir l’autre. Cela peut vous paraître très commun, verbalisé ainsi. Mais alors vous ne réalisez pas à quel point cette union se trouve poussée sur cette Charnelle transcendance !

Le profond malaise qui envahit l’auditeur à son écoute provient de cette infâme intrication, le charnel demeurant mortifère et la mort libidinalisée. Et pourtant, Eros et Thanatos sont si proches parfois, ce face à quoi nous place la Charnelle transcendance.


L’honneur est donné au surréaliste Man Ray de laisser La prière (1930) orner ce premier effort d’âme. Le blasphème s’impose, et le ton est donné.

Le blasphème est nécessité et ce de tous temps, comme nous l’aura prouvé de récents et tragiques événements (4). Pardonnez-moi cette maigre digression, mais cela aura placé en mon esprit une vision d’horreur où La prière viendrait à subir le même traitement…



II. Paliers de transcendance…

Si vous ne m’avez point quitté chers lecteurs et chères lectrices, je vous invite à présent à glisser avec moi au sein de la Charnelle Transcendance, en en parcourant chacun de ses intimes rituels. Si votre âme se trouve bien accrochée à vos artères, peut-être en réchapperez-vous… peut-être…


Introduction : L’appel des courtisanes.

Des échos féminins dessinent de subtils blasphèmes, nous envoutant de leur délicieuse répétition. Nous ayant déjà emprisonnés de leur charme serpentin, explose alors une familière symphonie. Cette dernière renvoie immanquablement l’auditeur averti aux tonalités d’un Elend lors de l’évocation de ses Leçons de ténèbres (1994). Nostalgique dans son expression, cette introduction nous ouvre grand les portes de la luxure…


L’appel de Dionysos : Hédonistes rituels.

La luxure aux cuisses grandes ouvertes, nous assistons à une cérémonie digne du Divin Marquis. Ritualiste, le moment l’est par les martèlements de S. Roland, aussi simples que parfaitement adaptés au cérémonial. Olivier impose ses proses avec force et effroi, alors que rugit la basse électrifiée de Cof.

Une orgie se dessine en l’auditeur, où tous les excès demeurent encouragés, exaltés. Le malaise peut venir s’installer chez le prude : mieux lui vaut de suicider son âme à ce stade d’immersion dans la Charnelle Transcendance, visant à lui épargner l’Insoutenable. Adieu pauvre ignorant.

L’Eros dévoile ici son acception profondément charnelle (5), prônant la déconstruction du spirituel.


Le mélodieux écoulement du temps : Implacable morcellement.

Des cimes de la luxure vous retombez brutalement, votre âme s’écrasant sur un sol glacé. L’hédoniste cérémonie elle-aussi s’est suicidée pour laisser place à une diaphane évocation. Et d’emblée s’impose le poids des mots : « Mon cœur est un tambour qui rythme mes absences ».

Une basse décharnée vient tenter d’établir un continuum dans cette douloureuse évocation, alors que surgit au loin de sopranes volutes, tentant de contrebalancer une souffrance "à priori" anesthétique. Car oui, l’ébène est couleur, malgré le grand mal que cela inflige aux physiciens. En effet, de lui se dégage un spectre subjectif bien plus profond que n’importe quelle autre tonalité esthétique. Grand mal vous en inflige, vils êtres goinfrés de rationalité !

L’évocation présente, bien que close pour le pathétique commun des mortels, demeure superbe. Aussi implacable que lyrique, un archet a su y donner la mort. Dans un coin de la pièce se trouve un piano depuis longtemps délaissé, alors que gît à l’autre extrémité un violoncelle. Tous deux se trouvent séparés et pourtant unis par une gigantesque marre de sang. La Charnelle Transcendance vient de connaître son tout premier meurtre narcissique… poignant comme aucun autre.


Réminiscence : Apaisant interlude.

En éphémère illusion, une Réminiscence s’offre à nous sous des formalisations médiévales. Sans pour autant inonder notre cœur d’une joie profonde, cet instrumental voyage offre allègement, relâchant quelques vaisseaux d’une angoisse criante.


Avortement suicidaire : Hypocrisie de vie.

Mais l’apaisement ne demeure qu’éphémère et utopique, vous l’avais-je pourtant précédemment suggéré. A ce stade, seule une flûte maintient en vie ce décor médiéval des plus fantasmatiques, encerclant l’avortement de Narcisse.

Une basse discrète vient porter une énonciation où l’adulte s’entremêle à l’âme enfantine. Cette dernière exprime son rejet d’une vie imposée, issue du non-désir. Se joue alors une véritable tromperie musicale, où une fausse légèreté dissimule l’horreur du verbe. Oui, le décor de notes dénonce en écho le propos même : la naissance demeure une illusion de vie, cette dernière n’existant alors que dans le regard d’autrui, atrocement égoïste.

« Suicide ombilical »… jumeau au Commencement d’une fin.


Pardon : Cendres d’amertume.

La fausse légèreté continue sa marche serpentine (en écho à la précédente flûte…), se frayant un chemin jusqu’à nos oreilles éplorées. Sur fond d’une rythmique puissamment écrasante, le ton se durcit quelque peu, Olivier conférant à son intime litanie une désillusion au parfum d’amertume.

Arabisante, elle n’en est pas moins charbonnée, semblable à des étoiles cendrées. Qu’il demeure peu aisé de poser ses pas sur un sol si trouble…


A l’ami décédé : Ode au silence.

Les claviers d’orgue donnent le ton d’une tragique complainte, que la basse vient très vite côtoyer, rapidement noyée sous une étendue nappe orguée. Funèbre cérémonie qui s’impose à nous, Olivier creuse le tombeau d’une voix qui s’y dépose, grave de sobriété.

L’hommage se veut des plus courtois, à « celui qui –…– fut l’incarnation de la bonté-même ». Par respect pour ce défunt être, j’éprouve le besoin de limiter ici mes mots, car ce cru et remarquable requiem se suffit à lui-même : « le silence ici pose… ».


Communion : Eloge du blasphème.

La Charnelle transcendance sait déstabiliser même l’auditeur clairvoyant, réalisant ici le passage d’un cimetière vers une église mutée en temple de luxure. Du meurtre narcissique vers le meurtre de l’homme en blanc, l’Eros choisit de n’en franchir qu’un seul pas…

Dans la noble continuité de L’appel de Dionysos, nous assistons à une cérémonie sadienne. Mais elle vient ici de franchir un palier supplémentaire, exaltant l’hédonisme meurtrier que chérit tant le Divin Marquis. L’anti-religiosité atteint ici un sommet rarement caressé, dans une grande messe dont la noirceur rivalise avec le plus pur blasphème. Assassine euphorie !

Des visions de délicieuse horreur se gravent en notre esprit, faisant bouillir notre sang et nos entrailles toutes entières. Jadis cette Communion effraya d’imbéciles extrémistes (5), craignant peut-être que nous leur offrions comme présent nos lames, alors que leur mort psychique se trouvait déjà avérée depuis fort longtemps. Tristes esprits que ceux des ignares…

A jamais cette Communion tournoiera en mon âme, dont la portée symbolique se veut littéralement vitale à mon profane regard. « Le blasphème est un choix, nous prônons l’hérésie ».


Délirium de l’être seul : L’Insoutenable.

« Le bruit sourd de mes pas hante la pièce vide »

La Charnelle transcendance retombe soudainement dans les limbes de l’intime, au travers d’implacables notes : ode au plus atroce désespoir.

"Dans une pièce ébène, où la lumière se trouve proscrite, l’introspection débute douloureusement. Accroché à de bien fragiles synapses, dont les roseaux nous abandonnent les uns après les autres : la chute est prononcée. Accueilli au sein des viscères, celles-ci se veulent dévorantes, morcellantes. Et c’est d'une nouvelle naissance dont l’Horreur nous gratifie, baignée d’excréments. Avec grand peine les yeux s’entrouvrent, avec pour unique vision, un unique sentiment : Solitude."

Les mots prennent ici une envergure dépassant l’entendement du mortel, allant chercher ci loin dans les entrailles que notre esprit entre en littérale commotion. Face à l’Horreur, seule nous reste la prostration. Nos aspirations à la représentation se trouvent parasitées, engluées dans le malaise. Réduites à néant, il ne nous reste qu’à vomir ce trop-plein d’affects insupportables, brûlant notre cœur et implosant nos artères.

« Je suis à nouveau seul,

Dans la pièce exiguë,

Toujours un peu plus seul,

Toujours un peu plus fou.
»



III. Transcendé.

La Charnelle transcendance est une première œuvre absolument remarquable. Terre de contrastes, elle oscille entre moments funèbres et cérémonies hédonistes, ce qui demeure assez atypique dans la discographie de l’Eros (sous cette forme-là, en tous les cas). Moins homogène que les deux œuvres suivantes, elle frappe par son caractère cru, dont le Delirium de l’être seul en constitue l’apogée. D’ailleurs, ce délirium est encore aujourd’hui ce que l’Eros a pu accoucher de plus expressif, de plus traumatique aussi. Il nous fait découvrir un gouffre dont la profondeur n’aurait jamais pu effleurer notre si naïf esprit. Et c’est bien un véritable coup de couteau d’humanisme que nous recevons entre les côtes. Il demeure d’ailleurs bien difficile de sortir de cet amas de souffrance, pénétrant en nous pour contaminer notre être à jamais. A l’arrêt objectif du délirium correspond une chute subjective à l’atroce goût d’éternité…

Ainsi, la Charnelle transcendance pourrait être qualifiée de funambulesque, parcourant de réguliers va-et-vient entre hédonisme et torture introspective. Mais n’y aurait-il pas qu’un pas de l’érotisme à l’auto-érotisme ? Nous pouvons ici tout à fait le penser haut et fort.


C’est nu dans la noirceur que s’apprécie au plus haut la Charnelle transcendance. Du moins, cela en est le cas pour une large partie de l’œuvre, dans ses complaintes les plus maladives (Delirium de l’être seul, A l’ami décédé, Avortement suicidaire, Le mélodieux écoulement du temps). Mais baigné de la lueur d’une noire bougie, du sang d’un autre dans la bouche, et vous êtes fin prêts pour les offrandes hédonistes de l’Eros (Communion, L’appel de Dionysos).

L’auditeur, en plus de se devoir demeurer clairvoyant, nécessite de mettre à rude épreuve ses facultés adaptatives, la Charnelle transcendance ne sachant offrir aucune clémence à ce dernier. Elle se mérite mes amis, sachez-le !


Le cœur de cette première éjaculation douloureuse en demeurent les textes, d’une subjectivité remarquable de sincérité. Et cela demeure extrêmement rare qu’un auditeur puisse entrer ainsi de manière aussi profonde dans la psyché de l’Artiste. Il peut ainsi en adopter les plus dangereux contours.

Les mots d’Olivier constituent le squelette de chaque palier de transcendance, la musicalité venant accompagner de rachitiques doigts ses errances. D’apparence minimaliste, la Charnelle transcendance est en fait prolixe, et nécessite d’être appréhendée dans une perspective holistique.

L’évocation en français permet de donner un ton d’une grande puissance, doublée d’une sophistication que beaucoup considéreront comme excessive. Car autant le fond que la forme se veulent rebutants de prime abord, choquants. Mais seule l’ignorance peut pousser à percevoir le travail d’écriture d’Olivier comme un strict exercice de style, alors que nous assistons là au plus pur et entier déversoir de souffrance que la mélomanie semble avoir engendrée (2). Car c’est bien au-delà de la pensée que la Charnelle transcendance s’exprime dans l’ici et le maintenant : la rationalité se soumet sans résistance aucune aux affects. Ou la catharsis enfin mise en mots…



IV. Transcendés ? Le serez-vous ?

Mon premier réflexe serait de vous renvoyer que la Charnelle transcendance ne s’adresse pas à n’importe quelle âme. Et je demeure lucide quant à l’écriture de mes mots : bien peu d’entre vous seront sensibles à cette œuvre oh combien singulière. Pourtant, je recèle bien en moi la certitude que chaque âme qui s’en approche et s’en approchera s’en voudra être marquée, ce qui peut prendre une infinité de formes : du dégoût à la fascination… Car l’Eros ne nous abandonne jamais dans l’indifférence, préférant nous caresser de sa fine lame acérée. Et ce n’est qu’ultérieurement que vous prendrez conscience de cette subtile ouverture de sang qui jaillit de votre enveloppe carnale.

L’Eros adopte une démarche intime, ne s’adressant qu’à une poignée de sensibilités humaines. Car se faire l’écho de la masse serait la plus vulgaire des réactions, et nous en sommes fort heureusement extrêmement éloignés ici. Le temps sera votre allié dans une écoute qui se voudra souffrante, vous menant souvent vers la commotion psychique. Mais seul ce temps vous permettra d’aller au-delà du caractère cru de l’Eros, car ce dernier est bien plus que cela (5) : le symbolisme y occupe la quasi-intégralité de l’espace pour l’auditeur clairvoyant, celui qui a pour visée de démanteler l’apparat et ressentir/comprendre le noyau, le cœur en effusion.


Ainsi, il vous faudra être armés de patience pour pénétrer l’Eros, forcer ses chairs. Mais une fois embryonnisé en lui, plus jamais vous n’en sortirez : je vous en donne ma parole la plus viscérale.

La Charnelle transcendance est un objet désormais épuisé, et il vous faudra faire preuve de hargne et de persévérance (à tous points de vue donc) pour qu’elle vienne enfin à vos bras tremblants. Patience… patience…


Mai/Juin 2011,
Éviscérée par Vlad Tepes.


Notes :

(1) … sur "L’appel de Dionysos" et "Communion".
(2) Interview de Cof : Metallian numéro 5, décembre 1996/janvier 1997.
(3) Interview d’Olivier Déhenne : Metallian numéro 6, février/mars 1997.
(4) Article En Avignon, « Piss Christ », d’Andres Serrano, cible des cagots (Le Post, 07/04/11) : lien.
(5) Interview d’Olivier Déhenne (mars 2005, par Adnauseam), pour la Horde Noire : lien.


Eros Necropsique


Myspace

www.myspace.com/erosnecropsique


Où se procurer l’objet ?

Priceminister



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