mercredi 10 août 2011

Tactile Gemma - "Tactile Gemma" (2001)


(Par Gabriel Leroy)


Parution : Format : Label : Univers : Pays :
2001 LP Season of Mist Heavenly voice/Avant-garde Norvège


Tactile Gemma - Tactile Gemma (2001)
Track-list :



Line-up :

Rune Sorgard : Programmation, Guitares, Basse, Synthétiseurs.
Monika Edvardsen : Chant.
Ann-Mari Edvardsen : Chant.
Membres additionnels :

Aucun.




Imaginez que vous flânez dans une rue familière. Soudain vous vous arrêtez. Sur le sol, un objet insolite retient votre attention. Vous l’observez. Il vous captive mais vous laisse dans l’incompréhension et vous continuez votre chemin. Le soir venu, vous êtes avec des amis et il vous vient l’envie de leur parler de votre découverte. Problème! La chose ne ressemble à aucune autre, sa couleur est indéfinissable, sa forme et sa texture trop complexes pour être décrites. Imaginez-vous cela et vous saurez dans quel embarras je me trouve pour chroniquer cet album.

Comment dire? Tactile Gemma, unique album du groupe du même nom, est difficilement classable… nous dirons peut-être metal progressif ou avant-garde atmosphérique ou pop indus ethnique bizarre ou plus probablement heavenly voice expérimentale. En l’écoutant certains aspects feront penser à Björk, à Portishead… j’évoquerais aussi His Name Is Alive.

Sont gravées sur ce disque des notes certes, des sons, mais aussi de la folie, du jeu d’interprétation, de l’hallucination, en somme un véritable théâtre sonore qui à le don de vous dérouter et de vous emmener ailleurs pour peu que vous supportiez ses facéties.


Tactile Gemma


Cet album est un projet né en 1997 en Norvège. Il émerge des explorations en ingénierie musicale de Rune Sorgard. Sa collaboration avec les deux sœurs Edvadsen, Ann-Mari ex-chanteuse de The 3rd and The Mortal et Monika évoluant avec Atrox mène à la production d’une démo qui convaincra le label Season of Mist. Rune réaménagera son appartement en studio pour produire lui-même l’album entier.

L’instrumentation est presque totalement électronique, les partitions programmées sont plutôt réussies, la production soignée et inventive, avec de belles textures de sons. Cette créativité ne s’arrête pas à la part instrumentale, mais fait son chemin et s’accroit dans les voix des deux sœurs. Les chants s’amusent en totale liberté, pirouettent, se brisent, voltigent dans une espèce d’ivresse inspirée. La synergie entre machine et chair est harmonieuse et baigne dans de sombres atmosphères. Les mots sont eux complètement fous, surréalistes. Faut-il d’ailleurs vraiment y chercher un sens ou se complaire dans le bizarre? Quoi qu’il en soit, mystère, fantaisie, étrangeté sont au rendez-vous. Les morceaux se dépassent les uns les autres sur l’album tel un inquiétant cirque ambulant de voix funambules et d’instruments fauves ou chimériques.


Déroulons donc les pistes de ce surprenant carnaval itinérant.

« Chimeras » – Le monde mystérieux de Tactile Gemma s’avance avec un morceau aux allures à la fois inquiétantes et résolues dans sa musique, et aériennes et résignées dans son chant. Une basse décidée, des percussions froides, d’autres cristallines, de nombreuses cordes synthétiques posent l’ambiance. La voix mélodieuse de Monika vous parle de monstres nés de la pensée, de nos chimères que l’on ne peut chasser. « They hold a mad feast on the pulp called my heart ».

« Creepy-Crawlies » - Si nous osons aller dans la forêt profonde, nous dit-on, nous trouverons une maison en forme de pentacle. Là cinq êtres vivent apeurés et se chantent des berceuses pour s’endormir. La voix ici se déguise, tantôt murmure, tantôt joue dans les aigus lorsque s’expriment les créatures, puis se fait douce pour bercer l’étrange morceau de conte. La musique décousue de toute une verrerie de percussions mélange de belle façon la féérie et le cauchemardesque. Fascinant.

« Blackberry Jam » - Quelques rires enfantins mais pas innocents vous accueillent dans cette vision hallucinée. L’allégorie vous laisse des images des plus étranges. Une grappe de fruits, un poulpe, des insectes, une naissance. Le chant double se gonfle de démence, fervente pour Monika, murmurante pour Ann-Mari. Le scintillement sonore semble d’abord cascader un peu à l’écart de cette scène étrange comme n’osant pas trop y toucher, puis s’épanche et se mélange à de lambeaux de râles vocaux avant de laisser place à un ahurissant désordre d’échos.

« Heal » - D’un sombre brouillard sonore la voix émerge, lyrique cette fois. De superbes métaphores vous évoquent le cycle vicieux du chagrin et l’aridité de la vie. « So your pain is growing tree rooted in itself ». La musique amène lentement un clair-obscur mystique sur la chanson. L’on finit par vous inviter à laisser le couteau mettre fin à l’agonie. Un morceau envoûtant qui fait perdre la notion de lieu et d’époque.

« Mellow Pillow » - A l’entrée de cette piste une sorte d’horlogerie vibrante. Puis une voix moelleuse et plaintive qu’on peut malheureusement qualifier ici, sans être absurde, d’étrangement banale. Un morceau mélancolique mais plus conventionnel.

« Throught Your Eyes » - Plage minimaliste faite de quelques notes atmosphériques, quelques cordes tremblantes. Un murmure spectral y diffuse doucement en phrases sombres un refus de voir le monde à travers d’autres yeux. Joli moment lugubre et vaporeux.

« Whiz » - Un des morceaux les plus fous de l’album par son texte, son rythme lancinant et son chant débridé qui bondit ça et là sur la partition, passant par de multiples états comme ces crapauds volants dont il est question, qui sortent de dessous la langue qui s’écrasent sur le plafond avant de retomber. L’aspect plus dur du morceau ne fait que renforcer l’impression de délire. Excellent.

« Serpentarium » - Sur des accents ethniques, des serpents grouillent hors du texte, ondulent avec le chant, entre les percussions et les claviers. Ils fascinent plus qu’ils n’inquiètent. Un morceau en forme de créature exotique filiforme. “Meander in toxic, hot pools where cast-off zigzag skin floats”.

« Miss Loona’s Speech » - Quelques notes d’une petite chansonnette, puis une voix canaille avant une douce hystérie. On ne sait pas trop ce qui s’empare de cette plage où les sœurs s’en donnent à cœur joie et se débarrassent de toutes traces d'équilibre mental. L’instrumentation reste assez posée avec ses percussions et ses synthés d’ambiance discrets. Vocalement par contre ça délire ferme et ça virevolte. Pour Miss Loona nous sommes une fourmi dans sa tête et nous apprenons tout des théières qu’elle fait pousser dans son jardin.

« Quiet Quiet » - Un atmosphérique relaxant aux sonorités cycliques, presque new age. Les nappes d’instruments et de vocalises se superposent agréablement. Pas de texte ici. On nous laisse souffler un peu. Mais était-ce vraiment utile?

« Deep » - Décorum inquiétant, samples futuristes. Puis vient une percussion tribale. Encore une fois c’est tout un autre monde qui se dessine. Ann-Mari s’avance telle une grande prêtresse écartant soudain magnifiquement les brumes par sa superbe tonalité. Rejointe par sa sœur, l’intensité augmente lentement avant de laisser place à un curieux sabbat vocal.

« Come Eclipse » - Le duo féminin entame a cappella le chant complètement déjanté d’une piste un peu brouillonne qui servit pour la démo initiale. Folie encore et dissonances pour cette danse de moustiques sous les rayons de lune. Bizarre ? Vous avez dit bizarre ?


L’album se conclut avec la version démo de "Blackberry Jam", encore légèrement meilleure que la version finale.

Voilà le cortège passé. Il en ressort une impression de folie complice et une froideur très esthétique. Cet album sous sa parfaite jaquette bizarroïde est pour moi une belle œuvre, originale, qui triture agréablement les conventions, vous amenant sans complexe ses ambiances d’asile psychiatrique, d’orphelinats hantés ou de sombres déserts mystiques. Tordue, elle nécessitera quelques contorsions et l’acceptation de votre oreille pour y laisser sa fourmi faire son nid et faire pousser votre propre grain de folie. « Embroidered head with mosaics smells like lilac… like lilac… I like lilac ».


Août 2011,
Rédigée par Gabriel Leroy.


Tactile Gemma





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