dimanche 29 janvier 2012

Funeralium / Fatum Elisum - Live Rouen (05/11/2011)



Funeralium / Fatum Elisum

Nihilisme(s)

(par Vlad Tepes)




"Rotomagus in Musica" V
Moment : 05/11/11.
Lieu : Emporium Galorium (Rouen, 76).



Je n’aurais de cesse de le répéter : l’Emporium Galorium demeure un temple du doom le plus underground, et les affiches proposées (bien que très espacées dans le temps) sont toujours de grande qualité. C’est une fois de plus le cas ce soir avec deux très gros concerts en perspective : les jeunes poulains de Fatum Elisum, et les hargneux avant-gardistes de Funeralium.




I. Fatum Elisum : Une déchéance de l’humain

Dans une salle évidemment peu remplie (ce qui est toujours à prévoir pour une affiche aussi extrême, doomesquement parlant j’entends), Fatum Elisum débuta cette longue soirée par l’exécution quasi intégrale du second opus "Homo Nihilis" (exception faite de Pulvis Et Umbra, courte introduction de l’album).


Fatum Elisum @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


C’est donc Pursuit of sadness qui ouvrit les tristes hostilités de ce soir au travers d’un morceau cyclique, comme tournoyant sur lui-même. Le final sera particulièrement intéressant, EndE s’offrant le culot et l’audace d’aller titiller les terres vocales d’un Attila Csihar (Mayhem/Tormentor), développant une ligne vocale à la fois étrange, sombre et théâtrale. Ceci est particulièrement intéressant car cela ne ressort pas ou peu sur la version studio.

Le pachydermique The twilight prophet viendra alourdir considérablement la tonalité, officiant dans un registre plus classiquement doom/death (mais entendons-nous bien, sur un versant extrême). Le concert gagna alors en émotion, avec notamment une descente rythmique superbement amenée en milieu de morceau, où se conjuguèrent les chants d’EndE et d’Alexandre (où ombre et lumière se côtoient). Mais c’est bien la noirceur qui vaincra, enterrant le maigre espoir qui venait alors de poindre… En tous les cas, ce très long morceau détient véritablement en son sein quelque chose de fort.

Le rythme augmentera quelque peu avec le titre éponyme Homo Nihilis, possédant un feeling black métallique indéniable au niveau des guitares. Ce premier mouvement me laissera quelque peu froid, contrairement à un second temps relativement poignant où seules quelques notes émergeront du silence. Encore un passage d’une très grande beauté.


Fatum Elisum @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Sur cette lancée, c’est East of Eden qui rehaussera une émotion déjà très largement explorée et exploitée. Dès les premières notes, un climat mêlé et d’étrangeté et de désespoir s’installa. Dans une spirale de souffrance, EndE n’aura jamais été aussi expressif en cette doomesque soirée. Scandant la misère de l’esprit, il sembla autoproclamer sa propre fin. Puis arriva une nouvelle chute rythmique où se créa chez l’auditeur un désir de repli, aspirant littéralement à redevenir fœtus. EndE reviendra alors à ses explorations vocales proches de celles d’Attila, avant que ne résonne une rythmique black métallique, nous prenant au dépourvu :




Les chœurs d’Alexandre viendront alors soutenir la torture vocale d’EndE, provoquant ce clair/obscur des plus prenants. Assurément, ce très long déroulement fut le climax du concert.

La prestation s’achèvera par une reprise de nos chers norvégiens de Darkthrone, au travers de The hordes of Nebulah (issu du celtic-frostien "Panzerfaust" ; 1995). Assez fidèle à l’original, ce choix semble signifier un sensible changement de cap en termes de composition, car l’on sent bien qu’ici et là "Homo Nihilis" est traversé d’un black métal froid et nordique. Toutefois, cette cover demeura quelque peu moins audacieuse que celle de Gothic (Paradise Lost, 1991) effectuée lors de certaines prestations live de 2010. Mais je le sais parfaitement, je chipote !


Fatum Elisum @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Considérons à présent l’ensemble de la prestation. Il faut bien avouer que Fatum Elisum a très largement progressé par rapport à ces précédentes prestations scéniques, et je pense en premier lieu au concert donné en ce même lieu le 28 mai 2010 : http://www.psychopathia-melomania.com/2010/11/fatum-elisum-eibon-ode-to-decay.html Ainsi, le groupe fait bien plus corps que par le passé, ayant trouvé selon moi une unité nouvelle. De plus, la maitrise technique poursuit sa sereine voie, s’affirmant et s’affinant même au fil du temps. Et ceci fait plaisir à entendre, car permettant de rendre bien plus justice aux compositions de l’entité rouennaise.

A ce titre, l’exécution vocale va grandissante en termes de maitrise, permettant ainsi de canaliser une émotion qui n’aspire qu’à exploser au dehors. EndE a toutefois conservé l’aspect hétérogène de son chant, mais ayant toutefois amplifié son éventail d’application. Ainsi, il peut maintenant se permettre d’explorer de nouvelles contrées, telle que cette théâtralité sombre si chère à Attila Csihar. Et avouons qu’il n’est pas donné à tout le monde d’expérimenter cela, mais surtout de réussir un tel pari ! En parallèle, le chant clair d’Alexandre a lui aussi gagné en ampleur, prenant actuellement une place indispensable dans les compositions de Fatum Elisum (The twilight prophet, East of Eden). Ce chant clair s’inscrit d’ailleurs de manière complémentaire à celui d’EndE, donnant une touche plus lumineuse.

Fatum Elisum aura donc donné ce soir-là un concert riche et résolument extrême. L’entité entaille progressivement sa place sur la scène doom hexagonale, petit à petit…





Fatum Elisum : set-list @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011
Track-list Fatum Elisum :

1) Pursuit of sadness
2) The twilight prophet
3) Homo Nihilis
4) East of Eden
5) The hordes of Nebulah (Darkthrone cover)




II. Funeralium : Pourrissement de l’humain

J’attendais le second chapitre de cette soirée avec impatience, m’étant déjà confronté à deux reprises à cette noire bête qu’est Funeralium. En effet, chaque prestation semble marquer un pas de plus vers le chaos et la haine. Qu’en sera-t-il ce soir ?


Funeralium @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Le concert débuta par une introduction profondément torturée en la qualité de Hang these bastards, et seules quelques secondes furent nécessaires pour plonger l’auditeur dans un ton résolument violent. L’enchainement avec le désormais classique Funeralium enfoncera d’autant plus le clou, au travers d’une version plus rapide que celle du studio (autrement dit celle du premier opus). La maitrise fut impeccable, ce qui sera mon sentiment tout au long de la prestation. En effet, sur ce morceau la technique fit parfaitement corps avec l’émotion, nous délivrant un pavé de malaise. Bien entendu, la montée en puissance est la caractéristique la plus jouissive sur Funeralium, et la catharsis finale demeure toujours autant impressionnante d’intensité. Le déchainement du désespoir…


Funeralium @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


S’ensuivront deux tous nouveaux morceaux (à paraître sur le second opus… début 2012 ?).

Deceived idealism est un pavé avec lequel j’ai pu avoir quelques difficultés initialement, car relativement différent de ce qu’avait pu proposer Funeralium précédemment. De plus, sa longueur peut apparaître comme laborieuse lors des premières écoutes. En ce soir du 5 novembre, j’ai enfin pu entrer véritablement dans cette longue et morbide marche, pour enfin en saisir toute la noire essence. Lumineux de prime abord (pour du Funeralium j’entends !), nous tombons pourtant très rapidement dans un abime inattendu. Rapidement le morceau vient encercler l’auditeur de manière sournoise, lancinante. Un second mouvement amène une rythmique doomesque à souhait, tellurique je dirais même. Les vocaux de Marquis se font menaçants, d’une profonde lourdeur, appuyés par les chœurs torturés d’Asmael LeBouc. S’ensuit le retour vers une apparente lumière, bien pauvre ma foi. Elle sera d’ailleurs très brève, assassinée par une lourdeur rythmique omnipotente. Un break m’évoquant nécessairement les défunts Bethlehem (l’entité actuelle ne constituant qu’un grotesque fantôme de l’œuvre maladive d’antan) ouvre ensuite une nouvelle plongée vers le fond, qui cette fois-ci s’avèrera ultime. La finesse du jeu de guitare s’inscrit ainsi comme un léger soupir mortifère, avant un sursaut rythmique… dernier filet d’air de notre part. Ce final en blast fut des plus hypnotiques, soumettant notre âme à la violence la plus élémentaire d’un monde dont nous contemplons la mort. Voilà un morceau qui augure une toute nouvelle approche chez Funeralium

Par contre, il m’est difficile de me prononcer sur 21st century ineptia, morceau totalement inédit du second opus à paraître. Toutefois, je peux attester de l’épaisse noirceur qui s’en dégage. Objectivement long, cette toute nouvelle pièce s’est (subjectivement) trop rapidement développée puis achevée.


Funeralium @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Et c’est bien trop rapidement que la fin approcha, préfigurée par Nearly the end. Aussi poisseux que la version studio, ce morceau s’exprima sur planches avec bien plus de haine et de dégoût envers l’humain qu’auparavant. Il est vraiment passionnant de redécouvrir des pièces que nous pensions connaître par cœur, d’être pris au dépourvu. Autant dire que le chemin fut parfaitement creusé pour une implacable litanie nihiliste : Let people die. Le son particulièrement brut de cette vidéo sied plutôt bien au rendu subjectif de l’expression live de ce véritable manifeste de haine.




Acte 1… Ce sont les martèlements d’A.D. K’Shon qui introduiront à une violence à venir, frappant la caisse claire avec rage et détermination. Par rapport à la version studio, la brutalité fut ici montée d’un très large cran, les vocaux de Marquis hurlant à tout rompre ce désir vomitif. La subtile percée de Berserk injectera une désespérance venant amplifier une haine déjà débordante.

Acte 2… Nous sommes pris d’assaut par une lourdeur peu commune. Les deux basses font parfaitement leur effet, aidées par une batterie toujours aussi cruelle. Une montée progressive s’insinue dans le chaos, parmi les cris. Ceux-ci montent en puissance et en gravité, laissant peu à peu exploser leurs viscères. La marche se poursuit dans la pénombre, interminable et souffrante.

Acte 3… Les cris viennent à faire imploser le peu d’espoir vital qu’il nous restait, volant littéralement en éclats. Sur ce morcellement, Berserk vient entamer son requiem, sublime.

Malgré une "connaissance" certaine de ce morceau en live, je suis toujours autant fasciné par cette densité de haine, cette viscéralité, le caractère ultime de ce Let people die monumental.


Funeralium @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Je suis ressorti bluffé par ce concert, bien meilleur que celui donné à Paris en décembre 2010. Techniquement, il n’y a pas grand-chose à redire. En termes d’expressivité, c’est bel et bien une franche intensité qui est au rendez-vous, délivrant une musique pure dans sa brutalité. L’aspect épuré et primaire côtoie le sens du détail, notamment au niveau des guitares. La lourdeur du son provient bien entendu principalement des deux basses, mais également d’une batterie particulièrement entière et dévastatrice. Soit qu’il ne s’agit pas de jouer pour jouer, mais bien d’incarner quelque chose. Vocalement, Marquis est une fois de plus admirable de violence et de torture, ayant je crois fait trembler chaque pierre de l’Emporium Galorium. Toute la haine de Funeralium se trouve véritablement portée par ce chaos de hurlements, où chaque son semble vomi. Impressionnant, toujours aussi impressionnant.

On ressort épuisé d’un tel concert, tellement l’émotion se trouve mobilisée. Ici, la tristesse perd totalement pied et se noie aussitôt à peine touchée du doigt. Car c’est bien de violence subjective et de haine profonde dont il s’agit avec Funeralium. Même si elle ne l’a jamais vraiment été, la musique des doomeux est sans aucun compromis, même pas une maigre goutte. Nous pouvons percevoir une volonté de faire mal à l’auditeur, d’aller ouvrir ses entrailles pour en extraire l’atroce trophée. D’ailleurs, plus le temps passe et plus la démarche du groupe m’apparaît comme anti-humaine, de plus en plus hostile. Ainsi si vous pensiez que Funeralium était un groupe extrême, vous n’avez pas tout à fait fini d’approfondir la notion…


Funeralium @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011


Ce concert apparaît quelque peu anté-chronique si-je puis dire, puisqu’il est venu nous allécher avec un second opus d’une richesse et d’une créativité évidentes, mais sans que nous puissions pour autant nous en délecter ! Même si cela semble indépendant de la volonté du groupe, je regrette que tant de frustration soit infligée. Ou alors Funeralium se plait à mimer un Radiohead pour la sortie du controversé "Kid A" (la tournée toute entière ayant été prévue bien avant la parution de l’opus). Non, je ne pense pas !

En tous les cas, sachez violents messieurs de Funeralium que ce second opus est attendu de pied ferme, et ne saurait ("saura" plutôt ?) décevoir. L’attente semble toute aussi longue, mais bien moins passionnante, que les propres compositions de l’entité…





Funeralium : set-list @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011
Track-list Funeralium :

1) Hang these bastards
2) Funeralium
3) Deceived idealism
4) 21st century ineptia
5) Nearly the end
6) Let people die


Cette soirée aura brillé (si-je puis dire !) par sa richesse, nous montrant deux visages très différents d’un monde à priori unitaire. En effet, ce que nous pourrions appeler du doom extrême présente des sensibilités et expressions déconcertantes de contraste. Car à la haine viscérale de Funeralium s’oppose la mélancolie de Fatum Elisum. Vous me rétorquerez peut-être que haine et tristesse ne sont pas si opposées que cela. Certes, mais l’univers que les deux entités circonscrivent apparaît quand même radicalement différent. Nous pourrions presque qualifier les deux groupes de manière sérielle : Fatum Elisum exprime une mélancolie poussée, dont Funeralium en constitue quelque part l’éclipse. En effet, ces derniers semblent être jadis passés par cette même mélancolie, qui à présent se trouve mutée en haine inextinguible. Autrement dit, il n’y a plus de tristesse qui puisse survivre en un monde pourrissant et définitivement déshumanisé. A jamais.



Novembre 2011/Janvier 2012,
Rédigé par Vlad Tepes.



Funeralium / Fatum Elisum @ Emporium Galorium, Rouen 05/11/2011



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