Parution : | Format : | Label : | Univers : | Pays : |
Octobre 1990 | LP | Roadrunner Records | Heavy Metal | Danemark |
Line-up :
King Diamond : All Vocals & Keyboards. Andy La Roque : Guitars. Pete Blakk : Guitars. Hal Patino : Bass. Snowy Shaw : Drums. |
Membres additionnels :
Roberto Falcao : Keyboards. |
« La foule demeurait sur place, et n’était que murmures, attente sans raison, consternation, angoisse. Tout le poids de la nuit et de l’horreur était tombé sur elle ; les derniers craquements des braises la faisaient tressaillir. Les ténèbres gagnaient sur les lueurs déclinantes du bûcher. »
Mercyful Fate, groupe de Heavy Metal Danois culte du début des années 80, splitte en 1985 suite à des divergences musicales entre son guitariste Hank Shermann et son charismatique leader King Diamond, nous laissant pour testament deux albums tout aussi cultes : Melissa (1983) & Don’t Break The Oath (1984). Le fond de commerce du groupe étant principalement basé autour du chanteur (look, concept théâtral Satanique…), ce dernier décide alors de mener sa propre carrière solo, sur la même lancée, avec ses anciens comparses Michael Denner (guitare) & Timi Hansen (basse), recrutant en complément le batteur Mikkey Dee (futur Motörhead) et le guitariste Floyd Constantine, lequel sera très vite remplacé par Andy La Rocque. La légende peut débuter. Après un single devenu un incontournable (No Present For Christmas), le groupe sort son 1er album en 1986 : Fatal Portrait, continuité directe de Don’t Break The Oath, avec toutefois une approche plus mélodique que l’on doit à Andy la Rocque. Mais la véritable révolution, qui va devenir une des marques de fabrique du groupe, est encore en gestation sur cet album : seules cinq chansons sur les neuf (NB : le single No Present For Christmas ne sera intégré que dans une future réédition) sont reliées entre elles pour former une seule et même histoire. Ce n’est qu’avec Abigail (1987) que le groupe nous livre son 1er (d’une longue série) véritable concept-album, nous invitant à suivre, au fil de neuf morceaux, le tragique destin de Jonathan & Miriam emménageant dans la vieille demeure familiale des La Fey, hantée par le spectre mort-né d’Abigail, bien décidé à trouver un hôte vivant (consentant ou non) pour se réincarner. Quand le Heavy Metal rencontre la bande originale de film… Tout simplement brillant. « Them » (1988) et sa suite Conspiracy (1989) empruntent la même voie : nous y retrouvons King lui-même (un doute planera longtemps sur l’authenticité de certains faits relatés), enfant d’abord, sous l’emprise d’une grand-mère démoniaque fraîchement sortie de l’asile, au sein de la demeure familiale Amon hantée (encore !) par des esprits peu sociables; puis adolescent tourmenté par la mort de sa petite sœur Missy, suivant la cure psychiatrique du Dr Landau, bien décidé à l’interner définitivement pour pouvoir épouser sa mère et ainsi prendre possession de l’ancestral domaine. Magiques, une nouvelle fois. Il fut même un temps question d’adapter ces deux albums sous forme d’un roman d’épouvante, idée qui malheureusement semble être tombée dans l’oubli… dommage. Nous sommes en 1990. Après trois albums consacrés aux fantômes, King est en quête d’un nouveau concept. Son regard va alors se poser sur son pendentif, jusqu’à s’y perdre…
Le pendentif en question, que nous pouvons voir sur la pochette, représente un œil « sauronesque » surmonté d’un démon ouvrant les bras de façon accueillante. Cet œil, l’Œil de la Sorcière, est, aux dires de King, doté d’une malédiction et rend fou quiconque a le malheur de le regarder avec trop d’insistance. C’est donc là que King va puiser son inspiration et nous livrer son concept-album le plus terrifiant : loin des histoires de maisons hantées, c’est au cœur de l’Histoire (oui, avec un grand « H ») qu’il va découvrir (pour notre plus grand plaisir) l’horreur la plus absolue. Torture, mort sur le bûcher, nonnes abusées et violées, sacrifices rituels… l’Histoire de l’Inquisition Française (1450-1670) ne nous épargnera rien. King est un grand conteur, de ceux qui vivent leurs histoires plutôt qu’ils ne les narrent… et nous les font vivre avec eux. Des claviers savamment mis en avant (jusqu’à parfois conduire le morceau plutôt que l’ornementer) ajouteront à un récit déjà glauque une ambiance des plus sombres. Bien plus qu’une bande originale de film, cet album est un film sonore, projeté sur le grand écran de notre âme (quasi) immaculée. Et comme pour tout grand film, penchons-nous sur le casting. Passons rapidement sur le line-up, qui a déjà subi quelques remous depuis « Them » (sur lequel sont arrivés Pete Blakk à la guitare & Hal Patino à la basse), et saluons au passage l’arrivée à la batterie d’un certain Snowy Shaw, futur Notre Dame (entre autres…). Non, le casting véritable concerne ici les personnages (réels) à qui King va faire croiser l’Œil, lequel bouleversera tragiquement leur destin : Jeanne Dibasson, jugée pour sorcellerie par le Grand Inquisiteur de la Chambre Ardente de Paris Nicholas De La Reynie et Madeleine Bavent, jeune nonne du couvent de Louviers, à la tête duquel se succéderont, pour le malheur de ses pensionnaires, les Pères Pierre David puis Mathurin Picard. Tous vont donc, à un moment de leur vie, croiser cet Œil (qui devient ainsi le fil conducteur de cette histoire) et en payer le prix fort, sous le regard impuissant d’un King ivre de vin et projeté dans le passé par malédiction. Tout commence par le procès de Jeanne Dibasson devant la Chambre Ardente (mention spéciale pour la remarquable performance de l’artiste qui alterne les voix des deux personnages de façon théâtralement démoniaque), supposée sorcière clamant son innocence mais qui, sous la torture, confessera tout ce que son tortionnaire souhaite entendre, et probablement d’avantage. Elle finira sur le bûcher. Et si les cris de King nous laissent imaginer la souffrance qu’elle a pu endurer, la morsure des flammes nous est, quant à elle, retranscrite de façon saisissante par des riffs d’une précision chirurgicale et d’une violence parfaitement maîtrisée. Quelques jours plus tard, deux petites filles vont venir jouer à la poupée sur les lieux de l’exécution. L’une d’elles, fouillant dans les cendres, va trouver le pendentif perdu par la suppliciée et l’autre, jalouse, va regarder l’Œil en tentant de lui prendre : elle y perdra la raison à jamais. Ouvrons ici une parenthèse pour souligner l’ambiance incroyablement glaciale qui se dégage de ce morceau : vous qui êtes en mal de sensations fortes, tentez-en l’écoute par une nuit sans lune, dans une forêt hostile et venteuse ou encore dans un grenier poussiéreux aux craquements inquiétants, avec pour tout éclairage une modeste bougie à deux doigts de s’éteindre… l’effet est garanti et probablement aurez-vous la désagréable surprise le lendemain matin (si bien sûr vous avez survécu à pareille épreuve) de constater que vos cheveux ont blanchi… Mais revenons à nos noirs moutonsses. Le temps a passé, une jeune nonne du nom de Madeleine Bavent (une des deux petites filles ?), violée quatre ans plus tôt par un certain Père Bontemps alors qu’elle n’avait que 14 ans, vient d’entrer au couvent de Louviers où elle est accueillie par le Père David, lequel, convaincu qu’il faut combattre le péché par le péché, ne va pas tarder à lui demander de venir communier… nue. Le vieux lubrique ne se rincera pas l’œil (!) bien longtemps : alors qu’il glissera vers les charnels appâts de la jeune femme, son regard croisera d’abord celui de son pendentif… il trépassera dans la nuit. Son remplaçant, le Père Picard, va vite révéler des penchants tout aussi pervers. D’emblée, il désigne quatre nonnes (dont la pauvre Madeleine, devenue Sœur Tourière, avec qui il entretiendra une relation amoureuse aussi sadique que blasphématoire) élues par Dieu pour devenir ses « anges blancs » et qui communieront avec lui chaque dimanche en buvant un vin dans lequel il déverse préalablement une mystérieuse poudre blanche… Ainsi droguées, il les amènera à commettre l’innommable, jusqu’à la crucifixion d’un jeune nouveau-né. Tout cela prendra fin en 1642, après la mort de Picard : les nonnes, devenues folles, finiront par confesser la possession diabolique… Madeleine finira ses jours en prison. Plutôt joyeux, non ? Avec tout cela on en oublierait presque la musique ! Comme indiqué plus haut, les claviers mènent la danse sur cet album mais il ne faut pas pour autant négliger les guitares, qui sont tout simplement impériales. Quant à King, il n’a jamais été (et ne sera probablement plus jamais) aussi en voix (au pluriel). Après tout cela, me prendrez-vous au sérieux si j’affirme que The Eye est purement et simplement un authentique chef-d’œuvre, une pierre angulaire du Heavy Metal ? Si vous en doutiez encore, il vous reste à vous faire votre propre avis… mais prenez garde à ne pas fixer trop longtemps la pochette !
Après nous avoir offert ces cinq pures merveilles, King Diamond va splitter à son tour, pour finalement se reformer en 1995 (comme le fera d’ailleurs également Mercyful Fate). S’ensuivra une 2nde discographie en dent de scie, alternant le meilleur (The Graveyard) et le pire (Voodoo), tout en se faisant malheureusement de plus en plus rare sur scène (à bon entendeur…). Il n’en reste pas moins que la période dite « Roadrunner » aura marqué son temps et que King y a gagné là une dévotion à vie de la part de ses fans. Attention, vous que cette chronique aura intrigué au point de franchir le pas avec cet album: l’accoutumance vous guette ! Car comme King, condamné à revivre ces heures obscures de notre passé, vous vous surprendrez vite à vouloir le réécouter, encore et encore… Après tout, l’Histoire n’est-elle pas elle-même un éternel recommencement ?
“L’Inquisition vint, je ressentis la souffrance ; je devais revivre tout cela, en seulement un jour. La Malédiction de “l’Œil ”, il vous ramènera dans la passé; si vous regardez au travers de “l’Œil ”, il vous ramènera dans le passé…”.
Rédigée par Bloodhound.
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